Cultiver une relation organique à la productivité

Dans un monde obsédé par l'instantanéité, choisir consciemment le temps profond est peut-être l'acte entrepreneurial le plus radical et le plus nécessaire qui soit.

Cultiver une relation organique à la productivité

Quand on travaille avec des humains, on travaille invariablement avec des corps.

Qu'ils soient petits ou gros, vieux ou jeunes, ces corps portent une histoire.

Une histoire de blessures, de stress, de traumatismes, de mutations, de guérison, de naissances, de maladies, et de toutes sortes d'"anomalies".

Une grande partie de cette histoire est non-dite, surtout en contexte professionnel, où le corps est omis pour laisser toute la place au cerveau-machine.

Comme plusieurs femmes, j'ai réellement commencé à comprendre ce qu'était "vivre dans un corps" lorsque je suis tombée enceinte. En prenant de l'expansion, en se transformant, ce corps me disait: "tu ne peux plus m'ignorer, car à l'intérieur de toi, un autre corps grandit".

Je me suis donc mise à le chouchouter. À lui donner tout ce dont il avait besoin, car soudainement, ce corps n'était plus uniquement mien.

Mais le plus intéressant de cette expérience fascinante qu'est la grossesse, c'est qu'à travers cette nouvelle relation à mon corps, j'ai découvert quelque chose qui a complètement changé ma vision du monde... incluant ma façon d'entreprendre et d'approcher le travail productif.

Kairos et la découverte du temps qualitatif

Lorsque je suis tombée enceinte, j'étais encore employée dans une université, où le rythme de travail était calqué sur les sessions académiques : rentrée, mi-session, fin de session, vacances de Noël, début des cours, mi-session, relâche, fin de session, vacances d'été. Repeat. Ce tempo, même si cyclique, était quand même marqué par une productivité exacerbée, où le corps avait à peine le temps de se remettre qu'un nouveau sprint commençait.

Bref, quand mon horloge biologique s'est ajustée sur celle de la naissance à venir, c'est comme si soudainement chaque seconde, chaque minute s'était gonflée, remplie d'une présence à soi que je n'avais jamais ressenti avant cela (sauf peut-être à petite dose lorsque je m'entraînais).

J'ai plus tard compris que les Grecs avaient un nom pour cette expérience du temps : kairos, le temps du moment opportun. L'exemple qui est souvent cité pour parler de kairos est celui de l'archer qui lâche sa flèche pour atteindre une proie en mouvement. En gros, ce temps n'est pas rationalisé, il est expérimenté. Pour ceux qui sont intéressés, j'avais d'ailleurs publié un court article sur le sujet.

Cette nouvelle perspective a marqué un événement important dans mon développement personnel et professionnel : j'ai commencé à déconstruire l'idée du temps linéaire (ce que les Grecs appelaient chronos) tout en m'intéressant aux temps incertains et fluides qui ne peuvent s'expérimenter que par le corps.

On parle ici du temps de la guérison, mais aussi, du temps de la croissance et du temps de l'opportunité, tous des concepts d'une importance cruciale chez les entrepreneurs, surtout quand on le lie à l'idée de performance saine et d'intuition stratégique.